Second degré et authenticité dans « K-raktère » de Mighty Ki La

Authenticité.

De la provocation, du délire, avec quelques coups de gueule. Mighty Ki-La a suivi à la lettre la même recette que ses deux premiers projets : il s’est fait plaisir tout au long d’un album à son image. « K-raktère » s’introduit avec un titre vif, T’inkiète, où il fait part de sa confiance quant à la direction que prend sa musique, à coups de rimes sûres et bien précises.

« T’inquiète, c’est toujours moi qui pose,

C’est moi qui dis « start » et c’est moi qui dit pause

C’est moi qui dis stop et c’est toi qui dispose

Pouce. Tant pis pour ceux qui causent… »

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Les sonorités très locales donnent un « K-raktère » en dégradé à cet opus qui, si on le compare à son ainé, se démarque de « K-libre » par un son plus dans l’air du temps. Listen to di style, Mobile phone et Dancehall vendetta nous mettent dans une ambiance plus jamaïcaine, variant par la même occasion les couleurs de cet opus. Mighty Ki La a cependant conservé les influences de la dancehall locale qui font sa force et son identité, de quoi donner un album Kreol reflet de sa culture qu’il revendique et pour laquelle il évoque un amour inconditionnel. On est agréablement surpris par ce même morceau quand le riddim laisse place aux notes mélancoliques de la guitare accompagnant le chant de Mighty Ki La qui narre ses doutes et se demande :

« Combien de nuits blanches, et combien de pages blanches ?

Combien de succès et d’échecs ? Combien d’espoir et de désillusions ? »

Insolence, provocation, ironie.

Mighty_Ki_La2.jpgSon humour épicé d’une dose généreuse de dérision a fait sa réputation. Mighty Ki La n’a pas changé de « K-raktère ». Il multiplie une nouvelle fois les délires, poussant parfois l’ironie jusqu’à la dérision comme le faisait si bien le rappeur Eminem il y a dix ans. Jugés osés, les thèmes qu’il aborde sont pourtant inspirés de faits courants dans la société antillaise. C’est ainsi qu’il raconte le jour où il a recroisé une jeune femme martiniquaise à Paris, six mois et quelques dizaines de kilos plus tard. Le morceau Régine est d’ailleurs devenu un tube depuis sa rotation sur les ondes en 2011. Continuant de retranscrire en musique des clichés ambulants, Mighty Ki La évoque sa frustration quant aux femmes souvent Belles, bonnes, mais bêtes. Un thème qui ne fera pas rire tout le monde, beaucoup accusant le deejay de véhiculer un discours misogyne et d’amalgame à l’égard des femmes. Les artistes jamaïcains étant anglophones, on comprend mieux pourquoi le public francophone s’indigne aussi peu face au contenu de leurs textes… Mais le deejay martiniquais assume ses propos, et fait même dans l’autodérision en se prenant pour cible pour changer. En pèd raconte sa nouvelle vie de célibataire depuis sa rupture suite à la polémique du morceau Belle, bonne & bête. Pour l’amour de Dieu qui va faire la vaisselle, les machines et le repas, maintenant ? Si dans le fond l’artiste ironise sur les conséquences sur sa vie quotidienne suite à une rupture, il signe un morceau intéressant dans la forme et on prend plaisir à l’entendre chanter sur une mélodie posée. Une pause originale et agréable.

Le « K-raktère » de Mighty Ki La lui impose de faire preuve d’un second degré constant, tout en restant authentique dans le contenu ainsi que dans les sonorités choisies avec soin. A l’heure où certains artistes dénaturent leur musique en quête d’un élargissement de leur public, lui a choisir de séduire et d’accueillir dans son univers ceux qui auront l’ouverture d’esprit pour. Un disque aussi puriste que futuriste que les nostalgiques et les amateurs de dancehall brute prendront plaisir à écouter. L’artiste s’amuse avec les rimes, fait rire mais aussi danser, le tout sans se prendre trop au sérieux. Loin des clichés véhiculés par beaucoup. Mighty Ki La ne cherche pas à plaire au grand public, il s’efforce de faire évoluer sa musique en accord avec son identité, sa culture, ses idées. Toujours fidèle à lui-même.

Chronique par Jason Moreau pour Party Time.fr