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« Sky is the limit » de Keros-n : un album bipolaire mais cohérent.

« Waketala ! ». Inutile de le présenter. Le ciel est la seule limite qu’il s’impose, il le clame depuis ses débuts. Avec les autres hyènes de sa meute, le plus russe des antillais a fait du hurlement « Ahou ! » la gimmick la plus populaire depuis le « Ahô » de Vybz Kartel. Son amour pour la thug life et son franc parler en plus de son talent ont séduit de nombreux spartiates qui lèvent leur petit doigt en guise de signe d’adhésion à sa musique. Pendant plus de 10 ans, Keros-n s’est illustré sur la scène underground de la dancehall comme celle du hip hop kréyol, passant de deejay au rang d’artiste confirmé. Il a dévoilé le 16 décembre dernier sa nouvelle comète tant scrutée par le public, Sky is the limit.

Un album mi dancehall mi hip hop, mais avant tout créole.

Keros_N_1.jpgSi les clashs ont souvent rythmé son actualité, son évolution artistique est désormais son seul avocat face à la concurrence. Sky is the limit offre pas moins de 22 titres composants d’un opus riche et consistant car complet. Une cohabitation entre dancehall et hip hop avec en commun cette empreinte musicale caribéenne en guise de fidélité à ses racines. Keros-n qui a certes fait voyager sa musique au-delà de son île la Guadeloupe, a tenu à produire un album reflet de son identité, de sa culture antillaise. Pour ce faire, il s’est entouré d’invités proches pour certains et éloignés pour d’autres de son univers, mais tous affiliés à la musique caribéenne dans son ensemble. Outre son acolyte Nicy, Silverman et Pompis sont les singjays présents sous le drapeau de la dancehall. Keros-n que l’on a trop souvent entendu aux côtés des autres membres de son collectif « Russi la » s’ouvre un peu plus, mais toujours dans un souci de cohérence avec son discours et son approche de la musique. En matière de dancehall made in west indies, la combinaison gwada-mada avec X Man sur La nou soti  reste la plus intéressante. Le hyène et l’Xtraterrestre s’emparent d’un riddim énergique, débitant ensemble des rimes viriles et affinées ponctuées d’égotrip mais modérées avec de l’ironie. Saine compétition. Ses réserves de kérosène lui permettent de se poser sur un riddim comme sur un beat. Il le démontre avec Si money où on entend un Débrouya en forme qui kicke avec brio sur une prod de qualité aux sonorités américaines. Les deux emcees prouvent encore que le hip hop kréyol n’a plus grand-chose à envier au rap américain, que lui aussi a ses artistes et ses génies.

Des principes, des confessions, des émotions : de la maturité.

L’image d’artiste faisant l’apologie de la voyoucratie lui colle à la peau. Keros-n ne manquera pas de répondre aux critiques en tout genre dont il fait l’objet. Sky is the limit est introduit par trois pistes mélancoliques, humeur que l’on retrouve tout au long de l’écoute de cet album qui nous surprend par son caractère mature et réaliste. On lui a souvent reproché ses discours virulents et vulgaires, l’accusant même d’être un mauvais exemple auprès des jeunes. Keros-n réplique avec un titre poignant, Madame, où il balaie cette responsabilité, vis-à-vis des jeunes qui l’écoutent et ne retiennent que le pire de ses textes, que lui font porter ceux qui le pointent du doigt.


« En effet je suis responsable de ce que je leur dis, mais pas de ce qu’ils écoutent […]

J’ai choisi de leur dire de se battre s’ils veulent réussir et conquérir le monde […]

Il faut que je dise au petit frère qui grandit

Qu’il ne rencontrera personne aussi sage que Gandhi

Faut lui expliquer que dehors il y a des traitres et des bandits […]

Faut bien que quelqu’un le lui dise, et c’est tout ce que je fais

Faut bien lui montrer la réalité avant que la rue ne le fasse… »

 

Une belle piqûre de rappel aux parents qui, faute d’avoir fait leur travail d’éducation et d’encadrement, sont les premiers responsables de la dérive de leurs enfants. A ce propos, il dédie une chanson touchante à sa descendance dans laquelle il lui promet qu’elle sera toujours entre de bonnes mains, qu’il sera toujours Tou pwé. Sébastien se confie comme jamais, fait part des doutes comme des certitudes qui vont de « père » avec son nouveau devoir. Une performance dans la forme comme dans le fond ornée d’un refrain chanté avec émotion, d’un père qui crie son amour et son dévouement pour sa nouvelle raison de vivre :

 

« Je serai toujours près de toi, pour t’écouter et ouvrir tes petits yeux, 

Le vent aura beau souffler, il n’emportera jamais ton cœur,

Alors ouvre-le mais serre toujours les poings…»

Keros_N_2.jpgA 27 ans, Keros-n est un artiste qui assume autant ses excès que ses prises de position. Et parce que même les hyènes éprouvent des sentiments et des désirs, l’amour et la passion sont des thèmes régulièrement abordés rythmant des pistes comme Un dos tres ou encore Tchimbé mwen. Les pulsions d’un côté, les principes d’un autre avec la cohérence qui lie les deux. Le titre Plis ki zanmi clôturant cet opus en est l’ultime illustration avec un thème précis. Rien de mieux qu’une mélodie Rn’B pour mettre en musique cette histoire entre un homme et une femme, interprétée par Larose, qui devient un jeu de séduction. Un beat avec un lit qui grince en fond, on a compris qu’ils voulaient être plus que des amis. Mais ce jeu dangereux évolue en dilemme à cause d’un principe, celui de loyauté.

Avec cet album intime et bipolaire, Keros-n assume les vices et les vertus qui l’animent. La cohérence dont il fait preuve le pousse à affirmer son caractère pour rester fidèle à sa réputation, les aléas de sa vie l’incitent à ouvrir son cœur. A travers ce projet authentique et sans artifices, il a réussi à rester fidèle à la musique de ses débuts. Il est resté le même, l’année lumière est juste devenue son unité de mesure. Keros-n a su repousser ses limites : ne pas se restreindre aux sujets répétitifs que sont l’argent, le sexe, les drogues et le hardcore, en variant les thèmes autant que les sonorités. On est content de l’entendre s’essayer au dubstep et utiliser l’auto-tune avec modération, nous racontant un triste 6 avril tiré de son vécu. Un artiste entier évoluant avec son temps, jamais bien loin de sa culture et de son identité propre. Keros-n vient de prouver qu’il est possible de réaliser un disque à la touche typiquement locale tout en étant poussé et abouti. « Siw rivé waketala an ké baw an méday. » prédisait-il quelques mois auparavant dans son clip Dayè. On comprend mieux pourquoi.

Article écrit par Jason Moreau pour Partytime.fr
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